Lapins et cadre thérapeutique

Ce matin, comme tant d’autres fois, j’ai attendu une patiente qui n’est pas venue, et n’a pas jugé utile de me prévenir de son absence. Ce matin, j’aurais préféré rester à la maison. Faire autre chose plutôt que d’attendre à mon bureau, me lever toutes les cinq minutes pour voir si la patiente n’était pas dans la salle d’attente…

Les patient(e)s sont des personnes que je suis heureuse de rencontrer et d’accompagner. Je pense à eux (elles) entre les séances. Je me forme, je m’interroge, je me fais superviser, je lis des ouvrages, des articles scientifiques, écoute des podcast, participe à des colloques, des conférences, pour toujours enrichir ma pratique et donner le meilleur de moi, au service de leur mieux-être et de leur épanouissement.

Alors, quand un(e) patient(e) ne vient pas au rendez-vous, je ne me sens pas respectée. Je ne me sens pas respectée dans ma pratique professionnelle, ni en tant qu’être humain. Qui aimerait faire cette expérience régulière d’attendre pendant une heure avec attention et disponibilité une personne qui ne vient pas, ne prévient pas, ne s’excuse pas de son absence ?

A quelle fréquence se produisent les lapins ? Parfois il y en a deux dans la journée. Parfois deux dans la semaine. Parfois deux par mois. Ce sont des nouveaux(nouvelles) patient(e)s. Mais pas que. Le lapin arrive à un moment précis dans le travail thérapeutique. Quand ça coince, quand ça bloque…

Le travail thérapeutique peut être inconfortable. C’est ce que j’énonce dès la première séance. Pour aller mieux, il est souvent nécessaire d’aller explorer les zones d’ombre, d’avancer vers ce qui est sensible/douloureux et que l’on préfère souvent cacher/nier/ne pas voir pour ne pas avoir mal. Je connais ces techniques d’évitement.

Poser un lapin à son thérapeute ne résout rien et ne permet pas d’avancer. Ne pas honorer son rendez-vous, c’est donner du pouvoir à la partie de soi qui ne veut pas avancer ni se confronter à ses difficultés, à son mal-être, à sa souffrance. Venir au rendez-vous (même et surtout quand on n’a pas envie de venir) c’est donner le pouvoir à la partie de soi qui veut grandir, progresser, évoluer, aller mieux. La question est de savoir quelle part de moi je veux nourrir.

Pour éviter les lapins, j’énonce dès la première séance la règle : sauf cas de force majeure, toute séance non décommandée 48 h à l’avance (jours ouvrés) sera facturée. La plupart des patient(e)s préviennent dans les délais, mais parfois on me prévient de l’absence la veille à 23h par sms, ou le jour même, une heure avant le RV, ou dix minutes après l’heure du RV, par sms toujours. Les raisons sont variées : « pour des raisons personnelles » ; « mon fils vient déjeuner à la maison demain midi » ; « je viens de réaliser que j’accompagne demain matin la classe de mon fils en sortie scolaire ; « il pleut »; « j’ai un dossier à terminer »…

Même si la plupart du temps je suis heureuse de venir à mes consultations, moi aussi ça m’arrive, parfois, de ne pas avoir envie de venir au rendez-vous : j’aimerais rester dans mon bain/sur la plage, méditer, terminer un podcast/un dossier/le chapitre de mon livre, me faire masser, aller me baigner, faire du sport, aller au ciné. Parfois aussi mon enfant est à l’hôpital, vous ne le savez pas mais je viens au rendez-vous, pour vous écouter et vous accompagner. Parce que j’aime profondément mon métier, qu’il a du sens pour moi, et que vous accompagner me fait du bien. C’est un engagement que je respecte : celui de vous accompagner. Parfois vous m’appelez à 22h, ou au milieu d’une journée chargée et je vous réponds. Parce que vous savez que vous pouvez me déranger si vous n’allez pas bien. L’engagement que je vous demande c’est de venir aux séances, ou de la décommander 48h à l’avance. Dans le cas contraire, de la régler. Parce que sinon la relation thérapeutique est fragilisée, et je ne peux plus vous accompagner si vous ne respectez pas le cadre thérapeutique.

Merci de votre compréhension.

Anne-Laure GUINOT, 08/11/2022